Peter Stephen Duponceau an Wilhelm von Humboldt, 26.12.1827
[a] Monsieur le BaronMonsieur de Niederstetter[b] a eu la bonté de me faire parvenir la lettre que Votre Excellence m’a fait l’honneur de m’écrire le 21 Sept. dernier. Ne voulant pas manquer l’occasion du paquebot qui va incessamment partir de New York pour le Havre; je me bornerai pour le moment à répondre à la partie de cette lettre qui vous intéresse le plus directement, en vous faisant part du mode d’exécution des ordres dont vous m’avés honoré. Je remets à un autre moment d’user de la liberté que vous me permettés de prendre, en vous présentant quelques vûës |sic| sur la question importante que vous avés si savamment discuté tant dans votre Mémoire Académique, que dans la lettre à M. Remusat dont vous avés eu la bonté de m’envoyer deux Exemplaires, qui ne sont pas encore arrivés de New York, mais que je possède cependant dans ma Bibliothèque, ayant eu grand soin de me procurer cet intéressant ouvrage, dès le moment que j’en ai eu connoissance. Je ne vous remercie pas moins du précieux présent que vous avés bien voulu me faire, & qui me mettra à même de faire connoître au loin dans ce pays ci un travail qui mérite tant de l’être. La note dont vous avés eu la complaisance de me faire part, dans laquelle vous réfutés si victorieusement les conclusions à priori de Mr. Schmitthenner[c], fait bien voir que vous êtes exempt de la prévention presque universelle qui existe contre les langues non-écrites, & par conséquent appellées barbares, que de mon côté je n’ai jamais prétendu élever au dessus des idiômes d’Europe & d’Asie & encore moins des langues classiques, dont j’admire la noble structure, & je suis prêt à concéder qu’elles sont plus propres que les autres au développement de certaines classes d’idées; il me reste seulement encore des doutes sur la question de savoir si cette supériorité peut s’appliquer aux idées en général & si elle provient véritablement de la différence des formes Grammaticales. Je prendrai la liberté de vous soumettre ces doutes, espérant de votre extrême bonté qu’elle voudra bien prendre la peine de les éclairer. J’avoue, Monsieur, que dans le zèle qui m’anime pour relever les langues de nos sauvages de cette imputation vague de barbarie qu’on leur applique depuis si longtemps, je redoute <quelque fois> l’influence de la moindre de vos expressions; même de celles auxquelles vous n’attachés aucune conséquence; parceque des écrivains qui par respect n’osent les examiner, s’en emparent de suite & bâtissent dessus un système qui durera d’autant plus longtems qu’il fera parti d’un grand ouvrage & d’un ouvrage de mérite. C’est ainsi que M. Balbi, dans son Atlas Ethnographique, a établi une division générale des langues, fondée sur la flexion & l’agglutination, que vous rejettés vous même, comme base d’une semblable division. C’est qu’on saisit le moindre mot qui vous échappe, auquel votre nom & votre réputation donnent un poids immense, dont vous ne vous appercevés pas vous même, & c’est un des grands inconvéniens d’une célébrité comme la vôtre.
Pardon, Monsieur le Baron de cette digression. Je reviens à l’objet propre de cette lettre.
On s’occupe dans ce moment de copier pour vous la Grammaire Tarasque que vous avés demandée. Je fais faire cette copie chez moi & sous mes yeux & elle ne vous coûtera aucuns frais. Je me regarde trop heureux de pouvoir vous l’offrir. Elle contient seulement 112 pages in 12°. outre la Préface &c. Je vous promets qu’elle sera écrite à votre satisfaction. Vous verrés dans cette langue les genres Américains, animé & inanimé – Vous y verrés aussi la manière de former les mots par intercalation, comme par exemple dans le Verbe Inspeni, donner, dont on se sert dans un sens général. Pour dire donner à plusieurs, on y intercale la particule ua, indicative de la pluralité, & on dit insuani; inscuni veut dire donner à un seul, par l’intercalation de la particule cu – Dans le verbe principal inspeni, la syllabe ou particule pe indique la généralité de l’expression. Au reste l’ouvrage lui même est basé servilement sur la Grammaire Latine; on y trouve les Gérondifs, les Supins &c. Ce n’est que par hazard qu’on y trouve des détails sur ces formes singulières qui forment le caractère distinctif des langues Américaines.
La Grammaire Onondague que vous avés est bien celle cottée No. 532. page 231. du Catalogue. Ce n’est pas, à ce que je crois, de Mr Pickering que vous la tenés |sic|, mais de M. Vater, pour qui je l’ai faite faire & à qui je l’envoyai dans le tems, & il m’écrivit vous l’avoir transmise. J’en ai un peu changé la méthode pour la rendre plus claire, mais je n’ai rien ajouté au texte, que (peut-être) quelques notes. La Grammaire Tarasque sera copiée de la même main que celle-ci; ainsi vous la reconnoitrés facilement. M. Pickering n’a jamais eu cette Grammaire, ni aucune autre de cette langue, que je sache, à sa disposition.
Le Dictionnaire Onondago de Zeisberger, est, comme vous savés, très volumineux; j’en extrairai pour vous les mots du Vocabulaire de l’Impératrice Catherine[d], & j’aurai l’honneur de vous les envoyer.[e]
Les Ouvrages de Pyrlaeus[f] appartiennent à la langue des Mohawks; c’est par erreur qu’on a mis Onondago dans le Catalogue au No. 531. p. 231. . Je les relirai avec attraction, pour vous donner une idée de ce que c’est, de manière que vous puissiés juger de ce qui vous en conviendra.
Je vous enverrai avec plaisir l’ouvrage de Hunter[g]; mais je vous annonce que c’étoit un imposteur comme Psalmanaazaar[h]; je l’ai reconnu tel dès que j’ai pu converser avec lui; je l’ai proclamé tel; mais on n’a pas voulu me croire. Trois ans après son împosture a été généralement reconnue. Il est mort dans la Province de Texas, où il avoit été essayer de révolutionner.
Les petits livrets en langues sauvages que vous me demandés ne sont pas dans le commerce. Je tâcherai de m’en procurer quelques uns; mais je crains de ne pouvoir réussir.
Je suis avec un profond respectMonsieur le Baron
De Votre Excellence
Le très humble & très obeissant serviteur
Peter S. Du Ponceau
A Philadelphie, le 26 Dec. 1827
P.S. J’ai longtems désiré de posséder un Exemplaire de votre
excellent ouvrage sur la langue Basque; Prüfung der Untersuchungen
&c. J’ai fait tout ce que j’ai pû pour me le procurer, mais
sans succès. Vous ne pourriés me faire un plus grand plaisir, qu’en me
mettant à même d’en obtenir un Exemplaire.
Fußnoten
- a |Editor| Am Fuß der Seite links: <A Son> Excellence Monsieur le Baron
Guillaume de Humboldt &c &c - b |Editor| Ludwig Niederstetter, Chargé d’Affaires, Minister des Königs von Preußen in den Vereinigten Staaten 1825–1830.
- c |Editor| Friedrich Jacob Schmitthenner (1796–1850): Ursprachlehre. Entwurf zu einem System der Grammatik. Frankfurt am Main: Hermannsche Buchhandlung 1826. 8.
- d |Editor| Katharina die Große (1729–1796) [Pallas, Peter Simon (1741–1811)]: Linguarum totius orbis vocabularia comparativa. Sankt Petersburg: Schnoor 1786.
- e |Editor| Dieser von Duponceau angefertigte Auszug befindet sich in Krakau unter der Signatur: Coll. ling. fol. 70, Blatt 3–7.
- f |Editor| Johann Christoph Pyrlaeus (1713–1785): A Collection of Words and Phrases in the Iroquois or Onondago Language explained into German.
- g |Editor| Zu Hunter siehe Duponceaus Brief an Marc-Antoine Jullien de Paris, 13. Januar 1826: Pierre Swiggers (1998): American Linguists and the Origin of Linguistic Typology: Peter Stephen Du Ponceau’s "Comparative Science of Language". In: Proceedings of the American Philosophical Society 142, No. 1, S. 33, Anm. 20. [FZ]
- h |Editor| George Psalmanazar (1679?–1763) [pseud.]: An Historical and Geographical Description of Formosa, an Island subject to the Emperor of Japan. London, Brown [et al.] 1704.