Wilhelm von Humboldt an Jean-Pierre Abel-Rémusat, 07.08.1831
Monsieur,Vous devez me trouver bien ingrat, Monsieur, de n’avoir pas répondû jusqu’ici à la lettre détaillée que Vous m’avez fait l’honneur de m’écrire sur le mot nai et son emploi comme Particule et comme Pronom[a]. Je ne saurois Vous exprimer, combien cette discussion dont chaque ligne annonce la main du Maître dans ces matières, m’a été precieuse. Je Vous prie, Monsieur, d’en agréer tous mes remercimens. La question est décidée maintenant, et j’ai vû avec grand plaisir que j’avois parfaitement raison de m’en tenir strictement à Votre Grammaire sur ce point. Cet exemple prouve au reste de nouveau que les thèses de cette Grammaire, si admirable aussi pour sa brièveté et sa méthode, sont basées sur une immense lecture et l’érudition la plus profonde. D’après ce que Vous exposez avec tant de clarté, Monsieur, il me semble assez difficile de decider, s’il existe réellement une liaison quelconque entre l’emploi pronominal et adverbial de nai? D’un côté cette supposition ne semble pas dénuée de fondement, mais de l’autre je panche pourtant plus vers l’opinion que Vous émettez sur l’origine de cette liaison apparente, et le résultat que j’en tire pour moi, est que, si j’avois eû Votre lettre avant la publication de mon mémoire[b], je n’aurois point cité le Chinois comme offrant l’example d'un Pronom né d’un Adverbe de lieu. La chose est pour le moins trop douteuse, et il faut, il me semble, avoir la sagesse de ne se tenir qu’a ce qui peut être prouvé jusqu’à l’evidence, en tâchant d’expliquer l’origine des mots et des formes grammaticales et de découvrir les fils souvent presqu’ imperceptibles qui les lient ensemble. Rien ne nuit tant à l’étude analytique des langues que d’être trop systématique et de vouloir tout expliquer. Le fait que les Pronoms dans quelques langues tirent leur origine des Adverbes de lieu est clairement prouvé par l’Arménien et quelques langues des îles de la Mer du Sud, il ne faut point vouloir trouver partout le même phénomène.
J’ai reçu au moment de mon départ de Berlin ce que Vous venez de publier, Monsieur, sur le Bouddhisme[c], et n’ai pû que le parcourir fugitivement. J’en ferai une étude approfondie à mon retour. Cette matière m’intéresse doublement àprésent ou je m’occupe beaucoup de l’île de Java et de ses anciens rapports avec l’Inde. Mr. Schlegel avoit déjà avec sa sagacité accoutumée découvert quelques expressions Bouddhiques dans les restes de la langue Kawi, j’en ai trouvé d’autres dans le poëme Kawi dont Raffles donne le texte. Je prépare un memoire sur cette langue qu’on a très faussement rangée dans une même classe avec le Sanskrit et le Pali. Le Javanois n’étant connû jusqu’ici en Europe que par les matériaux très-insuffisans recuillis |sic| par Raffles, il étoit difficile de se rendre compte de la nature de la langue Kavi. Je n’y ai réussi jusqu’ici qu’à l’aide du Malais. Mais je viens de recevoir àprésent d’excellens matériaux sur le Javanois qui me mettront, j’espère, en état d’approfondir entièrement la question.
L’espoir que Votre lettre me donne d’avoir peut-être le bonheur de Vous voir à Berlin me causeroit une satisfaction extrême, si Vous ne l’aviez lié, Monsieur, à des réflexions bien décourageantes. Heureusement que les circonstances ont avantageusement changé depuis. Mais un voyage et un séjour de quelques mois à Berlin auroit toujours peut-être quelqu’attrait pour Vous et rendroit infiniment heureux tous ceux auxquels Vos ouvrages ont inspiré une si vive et si profonde admiration. Je n’ai pas besoin de Vous dire, combien j’en jouirois en mon particulier.
Veuillez donc ne pas abandonner entièrement ce projet, Monsieur, et agréer en attendant l’assurance renouvellée de ma profonde éstime et de mon attachement inviolable.|Humboldt| Humboldt.
à Norderney, ce 7. Aout, 1831.
Fußnoten
- a |Editor| Als Auszug 1833 im Nouveau Journal Asiatique erschienen. [FZ]
- b |Editor| Die Abhandlung Humboldts, gehalten am 17. Dezember 1829, wurde bereits im Frühsommer 1830 gedruckt an Freunde verschickt; siehe dazu Leitzmann in: GS VI, S. 334. Der gesamte Band der Abhandungen der Akademie für das Jahr 1829 erschien erst 1832. [FZ]
- c |Editor| Vgl. dazu den Bericht der Société Asiatique über die Sitzung vom 2. Mai 1831 im Nouveau Journal Asiatique 7, 1831, S. 495f.: "M. Abel-Rémusat, qui s’occupe avec une nouvelle activité de ses traveaux sur le Bouddhisme, annonce la publication très-prochaine d’un mémoire fort étendu et divisé en trois parties, lequel a pour objet principal de fixer le point où sont parvenues les recherches des Européens, entreprises avec l’aide des différentes classes de monumens relatifs à cette religion celèbre […]." Diese umfangreiche Arbeit, die sich mit den Schriften von Brian Broughton Hodgson und Isaak Jacob Schmidt zum Buddhismus auseinandersetzte, blieb offensichtlich aufgrund des frühen Todes von Abel-Rémusat unveröffentlicht. [FZ]