Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 24.02.1821

|1*| Monsieur,

Vous serez sans doute étonné, Monsieur, que sans avoir le plaisir de Vous être connû, je prenne la liberté de Vous écrire. Mais M.r Bancroft dont j’ai eû le plaisir de faire la connoissance cet hiver, m’encourage à le faire, et je m’empresse d’autant plus à accepter son offre obligeante de Vous faire parvenir ces lignes que j’ai lû avec le plus grand intérêt un morceau dont Vous êtes l’Auteur. Je veux parler de l’analyse que Vous avez faite, Monsieur, du discours de M.r Jarvis sur la réligion des peuplades Indiennes de l’Amérique Septentrionale. Les idées que Vous y développez sur les langues de ces Nations m’ont parû si vraies, si importantes en elles-mêmes, et si fécondes en conséquences que je n’ai pû résister au désir de m’entretenir avec Vous un moment sur cet objet, et de Vous prier de vouloir bien par Vos soins intelligens m’assister dans l’étude que j’en fais.

Je me suis occupé depuis long-temps de recherches sur les langues Américaines, j’ai recueilli tant par mon frère dont le voyage |2*| Vous sera connû, Monsieur, que par moi-même lorsque je fus Ministre du Roi à Rome où j’avois l’occasion de consulter des Ex-Jésuites qui avoient été Missionnaires[a], un assez grand nombre de matériaux, et je désirerois composer un ouvrage aussi complet et aussi détaillé que possible sur les langues du nouveau Continent. Ces langues présentent ainsi que Vous, Monsieur, et M.r Heckewelder l’avez si bien exposé, des particularités si frappantes, des beautés naturelles si surprenantes, une richesse de formes qui seroit embarrassante, si une analogie parfaite ne venoit à l’aide de la mémoire, qu’il est impossible de s’appliquer à l’étude des langues en général, sans sentir le besoin d’approfondir surtout celles-ci. Il me semble surtout nécessaire de tâcher d’établir d’une manière bien solide, si les particuliarités dont je viens de parler, sont communes à toutes les langues Américaines, ou si elles sont seulement propres à quelques unes d’entr’elles, et ensuite, si elles tiennent à une tournure d’esprit, une individualité intellectuelle toute particulière aux Nations Américaines, ou si plutôt, ce qui les distingue, part de l’état social, du degré de civilisation sous lequel se trouvent les peuples qui les parlent. Cette dernière idée m’a surtout frappé souvent, il m’a parû quelquefois que le caractère des langues Américaines est peut-être celui par lequel toutes les langues dans leur origine ont dû passer un jour, et dont |3*| elles ne se sont éloignées qu’en subissant des changemens et des révolutions que malheureusement nous connoissons trop imparfaitement. J’ai tâché d’approfondir mes connoissances des langues Européennes qui semblent être conservées également dans leur pureté originelle, telle que la langue Basque et j’y ai retrouvé en effet plusieurs de ces mêmes particuliarités, sans que je puisse pour cela me ranger à l’opinion de M.r Vater qui voudroit établir une véritable affinité entre cet idiome et ceux du nouveau Continent. D’un autre côté il seroit également possible aussi, que les peuples de l’Amérique quelques grandes que soyent les différences qui se trouvent entre eux, eurent pourtant par leur séparation des autres parties du monde adopté une analogie de langage, et un caractère intellectuel différent qui se fût imprimé naturellement à leurs langues.

J’ai tâché de Vous présenter, Monsieur, le problême que je désirerois surtout résoudre. Mais je n’ai pas besoin de Vous dire qu’il y a une infinité d’autres points dans ces langues qu’il est intéressant d’examiner sous le rapport de l’analyse philo­sophique du langage et de l’histoire des nations.

La base de toutes ces recherches reste cependant une connoissance parfaite de ces langues mêmes, un examen scrupuleux de leur structure, et une analyse exacte de l’affinité de leurs primitifs et dérivatifs. Il me semble qu’on s’est beaucoup trop hâté de tirer des conséquences générales d’une très-petite |4*| masse de données de fait. Je m’attache donc surtout à éviter cette faute, et à me procurer une connoissance aussi <si> exacte que possible de chaque idiôme. L’expérience m’a prouvé que ce qui semble fort extraordinaire aux premiers coups d’oeil, s’explique de cette manière, et paroit être simple et naturel.

Il est seulement à regretter qu’on manque encore beaucoup et surtout chez nous en Europe, des secours littéraires qui faciliteroient cette étude, et c’est surtout à cet égard que je prends la liberté de m’adresser à Vous, Monsieur, pour Vous prier de bien vouloir, autant que cela seroit possible sans Vous donner trop de peine, me communiquer les ouvrages sur les langues Américaines qui pourroient se trouver chez Vous, ou être publiés par la suite. Peut-être trouveriez-Vous aussi l’occasion de me faire venir des copies de notices manuscrites. Je paîrai avec plaisir les frais que cela pourroit causer à la personne que Vous m’indiquerez. Pour que Vous soyez aussi informé de ce que je possède déjà, je joins une note des livres imprimés que j’ai sur les langues Américaines. Je possède en outre quelques ouvrages manuscrits que je tiens de quelques Ex-Jésuites. Mon adresse est: au Baron de Humboldt, Ministre d’Etât du Roi de Prusse, à Berlin. Je ne saurois Vous dire, Monsieur, combien Vous m’obligerez en voulant bien me seconder dans mon entreprise, et j’ose me flatter qu’elle contribuera à rendre plus générale la connoissance et l’étude des langues du continent que Vous habitez.

J’ai l’honneur d’être avec la considération la plus distinguée, Monsieur,
Votre
très-humble et très-obéissant
serviteur,
Humboldt.
à Berlin, ce 24. Février, 1821.

|Am linken Rand hinzugefügt| Si Vous me faites l’honneur de répondre à cette lettre, Monsieur, je Vous prie de la faire en Anglois. Je lis parfaitement l’Anglois, mais je n’ose pas l’écrire de peur de commettre trop de solécismes.



|Anhang|

|5*| |Schreiber| New Niews |sic| of the origin of the tribes and Nations of Amerika. |sic| By Benjamin Smith Barton. Philadelphia. 1798. 8.
Researches on America. Baltimore. 1817. 8.
Grammatica da lingua do Brasil; pelo P. Luiz Figueira. Lisboa. 1795. 8.
Diccionario. Portuguez e Brasiliano. P. 1. Lisboa. 1795. 8.
Dictionnaire Caraibe François & François Caraibe, par Raymond Breton. Auxerre. 1665. 8.
Vocabulario en lengua Castellana y Cora por el P. Joseph de Ortega. Mexico. 1732. 8.
The Gospels of St. Matthew, St. Mark, St. Luke translated into the language of the Esquimaux Indians on the Coast of Labrador by the Missionaries cet. London. 1813. 8.
The Gospel of St. John, translated into the languages of the Esquimaux, cet. cet. London. 1810. 8.
Dictionnaire Galibi. Paris 1763. 8.
Noticia de lengua Huasteca que da Carlos de Tapia Zenteno. Mexico. 1767.
Transactions of the hist. & Literary Comittee of the American Philadelphical |sic| Society held at Philadelphia. Vol. I. Philadelphia. 1819. 8.
Arte de lengua Mexicana, dispuesto por el P. Fr. Augustin de Vetancourt. Mexico. 1673.
Arte de lengua Mexicana compuesta por el Bachiller D. Antonio Vasquez Gastelu el Rey de Figuera. Puebla de S. Angeles. 1693.
|6*| Arte novissima de lengua Mexicana que dictó D. Carlos de Tapia Zenteno. México. 1753.
Vocabulario de la lengua Castellana y Mexicana y de lengua Mexicana y Castellana por Fr. Alonso de Molina. México. 1571 fol.
Arte Mixteca compuesta por Fr. Antonio de los Reyes.
The Gospel according to St. John. London. 8 (Mohawk).
Grammatica en la lengua Mosca. Madrid. 1619.
Reglas de Orthographia, Diccionario y arte del Idioma Othomi que dicto de L. D. Luis de Neve y Molina. Mexico. 1767.
Vocabulario de la lengua Qquichua, compuesto por Diego Gonzalez Holguin. Ciudad de los Reyes de Peru. 1608. 4.
Grammatica de la lengua Qquichua, compuesta por Diego Gonzalez Holguin. cet. 1607. 4.
Breve Instruccion para entender la lengua comun de los Indios segun se habla en la Provincia de Quito. Lima. 1753.
Arte des lengua Totonaca; su Autor el Lic. D. Francisco Dominguez. Pueblo de los S. Angeles. 1752.

|Notiert unten links am Rand:|
|Pickering| Baron W. Humboldt’s List of Books on the Languages of America
Recd. July 6, 1821 from Mr Geo. Bancroft.

Fußnoten

    1. a |Editor| In diesem Zusammenhang ist besonders auf die Bekanntschaft mit Lorenzo Hervás y Panduro zu verweisen, der Humboldt viele Sprachmaterialien zur Verfügnug stellte. [FZ]