Wilhelm von Humboldt an John Pickering, 20.07.1834
|1*| Monsieur,Vos deux lettres du 15 Octobre et du 11 Avril 1834 me sont exactement parvenues, ainsi que les pièces intéressantes dont Vous avez bien voulû les accompagner. Je Vous en offre, Monsieur, mes vifs et sincères remercimens. Javais |sic| espéré pouvoir Vous transmettre en faible témoignage de ma reconnoissance l’ouvrage que je suis au moment de publier. Mais ma santé toujours plus chancellante ne m’a pas permis d’en terminer encore l’impression. Il traite de l’ancienne langue poetique de l’île de Java, connue sous le nom de la langue Kawie |sic|. Il sera précédé d’une introduction sur la diversité des langues du globe et sur son influence sur la marche et les progrès de l’esprit humain. C’est cette introduction qui m’occupe encore. Car le premier volume de l’ouvrage même qui seul doit paroitre dans ce moment, est imprimé en entier. Je fais dans cette introduction aussi une ample mention des langues Américaines.
J’admire le zèle avec lequel Vous continuez, Monsieur, |2*| de Vous occuper d’études et de travaux philologiques au milieu des nombreuses affaires qui Vous entourent et je suis vraîment touché de la bonté avec laquelle Vous daignez m’écrire et me fournir des matériaux pour mes recherches. Lintroduction |sic| et les notes que Vous avec ajoutées au dictionnaire de Père Rasles donnent un nouveau prix à cette publication à laquelle tous ceux qui s’intéressent à l’etude comparée des langues seront on ne peut pas plus reconnaissants à l’Académie Americaine. Il est visible, Monsieur, que Vous êtes l’ame de l’activité qui a si puissamment contribué à éclaircir les idiômes du Nord de l’Amerique. Lesprit |sic| systématique et analytique qui règne dans ces travaux, est entièrement Votre ouvrage et le soin que Vous avez constamment mis à distinguer exactement les différents dialectes de la grande famille des langues Lenni Lenape prouve la justesse des vues philologiques desquelles Vous êtes parti dès le commencement de Vos travaux et fraye un chemin facile et sûr pour distinguer ces différent |sic| idiômes. Le dictionnaire de Cotton conduit à ce même but. Votre article sur les langues Américaines a beaucoup contribué à réveiller chez nous l’attention sur ces langues. La forme populaire que Vous avez réussi si heureusement à lui donner sans rien ôter par là à l’éxactitude de l’examen, a exercé une influence sa-|3*|lutaire aussi sur des personnes d’ailleurs entièrement étrangères à ces études.
Les Missionnaires dans les îles de la mer du sud agissent très sagement en adoptant Votre orthographe, Monsieur, et je conçois qu’ il facilite <ils facilitent> par là également aux indigènes l’exercise de lire leur langage écrit. Quant à la difficulté de noter les sons de ces langues avec exactitude, je m’en suis convaincu moi-même dans de longs entretiens que j’ai eus dans l’année 1828 à Londres avec quatre Tahitiens. Ce sont surtout les voyelles qu’on a de la peine à rendre comme il faut. Aussi le k et le t si |sic| confondent de manière qu’il m’a parû souvent en résulter un son entremédiaire se rapprochant davantage du t dans l’île de Tahiti et plus du k dans l’île Hawaii. Car j’ai aussi eû occasion de consulter un individu de cette dernière île qui se trouve à Berlin.
Il m’est infiniment flatteux que Vous ayez bien voulu attacher quelque prix à posséder mon portrait lithographié. Si j’avais pû prévoir cet effèt de Vos bontés, je me serais empressé de Vous le transmettre. Je puis au reste Vous dire qu’il est de la plus parfaite ressemblance. Pourrais-je sans indiscrétion Vous demander, s’il existe un portrait gravé de Vous, Monsieur, et oserais-je Vous le demander? Je serais vraiment heureux de voire les traits d’une personne qui |4*| m’a toujours inspiré une si grande et sincère estime et qui me comble de bienveillance et de bontés.
L’éditeur des écrivains Byzantins depuis la mort du célèbre Niebuhr est le Professeur Bekker à Berlin, homme d’une vaste érudition et connû pour plusieurs éditions d’auteurs Grecs très estimèes |sic|. Je lui fis part dans le temps de Vos offres obligeantes par rapport au manuscrit de l’historien Glycas. Il me témoigna toute sa reconnaissance et me pria de Vous dire, Monsieur, combien il y étoit sensible. Mais il ajouta qu’il ne croyait pas nécessaire de Vous importuner pour cet objet, puisqu’il se voyait déjà muni de tous les subsides que son travail exigeait.
La biographie du Black Hawk m’a vivement intéressé. Le caractère et la tournure d’esprit de ce Chef Indien se peint admirablement dans son ouvrage. Je ne saurais Vous nier, Monsieur, que les tribus Indiennes qui avoisinent Vos états, m’ont toujours inspiré le plus grand intérèt et m’ont paru aussi sous le rapport du développement de leur esprit bien supérieures à tous les autres indigènes du nouveau continent. Leur éloquence mâle et hardie et juste en même temps dans le raisonnement de leurs discussions m’a toujours infiniment frappé. Je désirerais bien savoir s’ils possèdent aussi des chants poetiques de quelque longueur et qu’on pourrait nommer épiques. Car des chansons lyriques ne leur manquent certainement pas. D’après ce que je connais, leur prôse oratoire |5*| a beaucoup dévancé en supériorité leur poésie.
Je termine ici cette lettre, Monsieur, et j’ai l’honneur d’être avec la considération la plus distinguer |sic|,Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Humboldt.
à Tegel ce 20. Juillet 1834.