Wilhelm von Humboldt an Jean-Pierre Abel-Rémusat, 21.10.1825
Monsieur,Il me seroit difficile de Vous exprimer, Monsieur, combien j’ai été vivement touché de toutes les marques de bienveillance & d’intérêt que Vous avez bien voulû me donner par Votre lettre du 10. Juillet[a], par la mention flatteuse que Vous avez fait de mes mémoires dans Votre rapport à la Société Asiatique, & surtout par la part que Vous avez eû la bonté de prendre à ma nomination d’associé étranger de l’Académie des Inscriptions. Ce sont là pour moi autant de motifs de la plus vive & de la plus sincère reconnoissance dont je Vous prie d’agréer l’hommage.
La faveur que l’Académie a daigné m’accorder, m’a causé la plus vive satisfaction. Je la dois certainement surtout au témoignage bienveillant que Vous avez rendû à Messieurs Vos confrères de mes foibles travaux. J’y reconnois également l’amitié que Vous vouez à mon frère, & le succès que je viens d’obtenir, m’est doublement précieux, puisqu’il se lie aux sentimens que j’éprouve pour un frère qui depuis longtems ne forme pas moins un objet de mon admiration que de mon plus tendre attachement.
Je me félicite également, Monsieur, de pouvoir Vous compter au nombre de mes confrères à l’Académie ici[b], & je puis Vous assurer que l’Académie, en prenant la liberté de Vous offrir de s’associer à ses travaux, a senti tout le prix de Vous posséder dans son sein.
L’importance que Vous voulez bien attacher, Monsieur, à mes recherches sur la nature des langues, me fait redoubler d’ardeur de poursuivre cette route. J’ai en effet essayé de faire une analyse de la véritable notion du mot, & j’ai été charmé de voir par Votre lettre que Vous partagez mon opinion que c’est là une de ces choses qu’on croit savoir, et qui pourtant sont couvertes d’obscurité. Le travail que j’ai fait, a encore besoin d’être mûri avant que de pouvoir être soumis aux yeux des personnes qui, comme Vous, Monsieur, savent approfondir ces matières fines & délicates. En commençant ces recherches je craignis souvent qu’elles ne parûssent trop minutieuses & trop subtiles, & je puis Vous assurer avec vérité, Monsieur, que l’intérêt avec lequel Vous avez bien voulû les accueillir, m’a principalement encouragé à les poursuivre. Je tâcherai àprésent de les porter aussi loin que mes forces me le permettent.
Je sens parfaitement que la langue Chinoise est celle dont la grammaire mérite surtout d’être étudiée sous ce rapport, & je m’y vouerai dès àprésent. Je Vous demanderai la permission de Vous soumettre mes idées[c] avant que de les présenter au Public. Je me féliciterai pour lors de pouvoir penser que mon travail Vous appartiendra doublement. Car ce sera naturellement surtout à l’aide de Votre grammaire que je pourrai approfondir la structure de la langue, quoique je ne négligerai pas de suivre aussi ceux des textes Chinois qui, grace également à Vos soins, Monsieur, sont àprésent accessibles aux commençans, ainsi que j’en ai déjà fait l’essai.
Il seroit certainement fort important d’avoir une chaire de langue Chinoise en Prusse, & je ne négligerai aucune occasion pour contribuer à la réalisation de cette idée. Mais il sera difficile d’y réussir. La Prusse n’entretient guères de rapports dans le Levant, les langues Orientales ne sont chez nous qu’un objet d’érudition. Chacune de nos Universités n’a ordinairement qu’une chaire de ces langues, & l’exception qu’on a fait de cette regle pour Mr Bopp a déjà éprouvé bien des difficultés. Bien des personnes ont regardé deux Professeurs de langue Sanscrite dans les Etats Prussiens comme un luxe a peu près superflû. On dira encore que Mr Klaproth, quoique vivant à Paris, n’a pas cessé pour cela de nous appartenir. Toutes ces difficultés cependant ne me rebuteront certainement pas.
J’ai vû avec le plus grand intérêt par Votre rapport, Monsieur, les progrès que la Société Asiatique de Paris a faits encore dans la dernière année. Vous avez présenté en peu de pages un tableau lumineux de tout ce qui s'est fait en Europe pour les langues Asiatiques, & cette méthode de rendre compte dans des mémoires supérieurement écrits des progrès des sciences devroit bien etre imitée en Angleterre & en Allemagne.
L’étude de la langue Sanscrite m’a occupé presqu’exclusivement cet été. J’ai surtout étudié les loix de Menou, puisque je voudrois comparer la doctrine philosophique qui y est exposée, avec celle du Bhagavad-Gita. Mon mémoire sur ce dernier poëme sera imprimé pendant cet hiver, et je m’empresserai à Vous l’envoyer dès qu’il sera publié. J’ai la conviction intime, qu’il est nécessaire lorsqu’on est obligé à s’étendre sur beaucoup de langues, d’en approfondir, autant que possible, quelques unes, & c’est pourquoi je n’hésite point à consacrer un tems considérable à l’étude de celle qui certainement est une des plus belles et des plus remarquables, mais aussi, selon moi, la plus difficile de toutes.
J’ai lû & relû avec grand intérêt la Grammaire Japonoise de Mr. Landresse. Je possède par les bontés de mon frère une Grammaire Espagnole de cette langue qui paroît Vous avoir manqué à Paris. Elle ne laisse pas que d’être intéressante à consulter même à côté de celle du P. Rodriguez. Je Vous l’enverrai, & j’y joindrai une courte notice[d] que j’en ai faite, & dans laquelle j’ai parlé en même tems de quelques particularités de la langue du Japon sur lesquelles je désirerois bien de savoir Votre avis. Mais je crains que je ne pourrai pas Vous faire parvenir cette notice avec ces lignes, puisque la copie n’en sera pas achevée au départ de ce courier.
Veuillez excuser la longueur de |cette le|ttre[e], & permettez moi, Monsieur, de vous réitérer l’expression de toute ma reconnoissance et des sentimens de la considération la plus distinguée avec lesquels je suis,Monsieur,
Votre
très-humble & très-obéissant serviteur,
Humboldt.
à Tegel, ce 21. Octobre, 1825.
Fußnoten
- a |Editor| Der Brief scheint nicht erhalten zu sein. [FZ]
- b |Editor| Abel-Rémusat war seit dem 9. Juni 1825 Korrespondierendes Mitglied der Berliner Akademie der Wissenschaften. [FZ]
- c |Editor| Siehe dazu hier das Konzept der "Lettre à Monsieur Abel-Rémusat". [FZ]
- d |Editor| Die genannte "notice" erschien 1826 als Addendum zum Supplément à la grammaire japonaise. [FZ]
- e |Editor| Unleserliche Stelle durch das Siegel auf der Blattrückseite. [FZ]