Alexander von Humboldt an Wilhelm von Humboldt, 06.05.1820
Je vois avec plaisir, mon très cher frère, que les Historical Transactions t’ont fait quelque plaisir. Le prétendu esprit philosophique du siècle rend malheureusement de tels ouvrages moins instructifs, qu’ils pourraient l’être. On cherche des bizarreries, on donne des résultats au lieu des matériaux solides bien plus dignes d’être publiés. Ce que tu dis de la régularité des langues, comme effet de la marche de l’esprit humain, est admirable. Je pense, qu’il y a deux genres d’influence d’une langue étrangère sur les racines sans attaquer la structure ou sur la structure, la flexion même. Le Persan est sur la limite du Sanscrit et des langues semitiques, comme l’anglais sur la limite des langues germaniques et du français (Roman). Comme le Sanscrit et le Semitique sont hétérogènes plus que l’eau et le feu, il n’y a qu’incorporation, mélange des racines. On ne donne pas de flexion (ou du moins dans des cas très rares) aux racines arabes. Au lieu de les terminer en idées, pour en faire des verbes on ajoute sachten, kerden, rumuden, cette famille innombrable d’auxiliaires dont abonde le persan. Au lieu de ennuyiren, molestiren, on dit: ennuy machen[a], molestation zeigen[b]. . . En anglais on fléchit les racines étrangères; et toutes celles qui ne tiennent pas au matériel de la vie, mais à un état de civilisation plus raffiné y sont dûes à l’Europe latine. L’influence étrangère a attaqué jusqu’à un certain point les formes grammaticales, mais aussi il y a moins loin du goth au français (normand) que du sanscrit aux langues semitiques. Il serait curieux d’analyser sous ce point de vue ce que les langues germaniques et slaves ont de commun, pourquoi les deux ressemblent au Sanscrit. L’influence des genres, ou plutôt de la vie, dans les formes du verbe. dont tu parles, est très curieuse. C’est une diablerie, ce me semble, des langues qui n’ont pas d’article et pas de genre. Tu sais qu’en Persan il y a un autre pluriel pour les choses inanimées. Ce respect pour la vie est très remarquable. Je ne puis pas apprendre du sûr par Md. d'Asouza sur le x mexicain, p. e. xolitl doit selon les Espagnols être prononcé comme jota. Si, dit on, les Espagnols n’avaient cru entendre ce son, pourquoi auraient-ils employé le x, qui si rarement en Espagnol est prononcé ks. J’ai oublié d’y penser dans le pays quand je me rappelle que les Espagnols ont fait de la province de Xoconochco, Soconusco; Atlixco, Atlisco; de Tlaxcallan, Tlascala; Huaxtepec, Hustepec; je commence à croire qu’il y a du s dans ce x.
D’un autre côté on dit Chochimilco et on a écrit de la conquête Xochimilco, comme dès la conquête on a écrit Cholula et non Xolula. Je crois, cher ami, qu’il serait bon que j’écrivisse moi-même au Mexique; cela ne doit pas t’arrêter à publier, mais il est toujours bon d’éclaircir cela et je voudrais que tu me misses par écrit en français d’autres questions qui t’intéressent et que l’on peut résoudre sur les lieux. Les communications seront très faciles et promptes. Je te prie aussi de jeter les yeux sur le mémoire de M. Raoul Rochette, membre de l’Institut qui n’est pas sans intérêt. C’est la personne qui t’avait écrit une lettre très polie, pour te demander conseils sur son livre sur les Colonies grecques. C’était pendant la guerre. Tu ne lui as l’as répondu parce que tu n’as pas reçu la lettre. C’est un homme très vaniteux et je voudrais bien que quoiqu’il n’ait pas accompagné l’envoi cette fois-ci d’une lettre, que tu lui écrivisses, par amour pour moi, quelques lignes. Cela me serait très agréable si tu peux lui dire du bien de son mémoire. Adieu cher cher ami. Mille tendres amitiés à la mère et aux enfans.
Humboldt.
Paris ce 6. Mai 1820.
Kunth est assez consolé si Altenstein voulait seulement
l’augmenter.