Alexander von Humboldt an Wilhelm von Humboldt, 24.08.1821
Je n’ai pas voulu t’écrire en Silésie, mon cher et excellent ami, parce que je n’ai pas eu ton adresse directe en Silésie et que je redoute les ambages qui font perdre à tout ce que l’on écrit le peu de couleur qu’on lui donne. On nous dit ici que tu es de retour à Berlin ou plutôt dans ta solitude philosophique de Tegel, de sorte que je ne veux plus tarder à te donner ce signe de vie et de ma tendre amitié. Nous avons eu ici quelques compatriotes qui m’ont parlé de toi. Mad. de Reede et surtout le petit Neal et sa femme que j’ai trouvée un peu changée depuis 16 ans! La personne cependant qui m’a le plus intéressé est un Justizcommissar Ludolf, qui se dit avoir été curateur de ton gendre et de ses sœurs et qui par conséquent m’a parlé de tout ce qui a rapport à ta famille et à ton intérieur. Lorsqu’on n’apprend de son pays ce qui s’y passe que par les papiers publics on n’est instruit de rien et on est bien aise de voir un homme raisonnable qui puisse réaliser les fausses idées que l’on se forme. A présent que tu es revenu, cher et tendre ami, tu me diras toi même comment va la santé de la bonne Li et si celle de ton gendre, qu’on m’avait dit avoir été assez mauvaise, se rétablit. Je travaille tout doucement, je suis assez avancé dans mon 3me volume et j’espère t’envoyer avec le prochain courrier à la fois les nouveaux cahiers de Zoologie. Nous avons eu ici un Gymnote vivant[a]: il est mort par ce qu’on l’a trop tourmenté. Il s’est épuisé, il n’a pas agi sur les boussoles, mais la commission de l’Institut a trouvé exact tout ce que j’avais annoncé.
L’affaire des Grecs m’agite beaucoup, d’autant plus que nous avons lu le superbe Panorame d’Athènes que M. Prevost a fait sur les lieux. J’irai par le Caucase si l’on ne peut passer par Constantinople. Mon portrait est enfin en chemin pour Berlin: j’avais honte de t’en parler. Il n’est parti que le 1. ou 4. Août. Voici la preuve. Steuben a voulu changer les mains: il a trainé 3 mois à vouloir le faire, enfin il l’a fait. Je ne pouvais t’alléguer d’avance une si futile raison. Tu ne m’en voudras pas. L’ouvrage a paru ici très beau, surtout d’ordonnance. Je pense que le tableau me représente bien tel que j’étais vis-à-vis du Chimborazo en 1802. Quel tems d’Ogyges! J’avais demandé à Koreff à mes fraix, encore 3 exemplaires du ton ouvrage sur l’Iberie que tout le monde me demande. De grâce envoye le cher ami. Un M. de Ferussac qui a fait lui-même en Espagne des recherches sans doute très legères, veut traduire ton ouvrage: mais il trouve des difficultés de libraire et d’autres (je pense) dans sa légèreté.
Mille tendres amitiés.A. Humboldt.
Paris
ce 24. Août
1821.
Je t’envoye les oiseaux pour lesquels j’ai fait quelques notes. Je lis et
relis ton admirable mémoire sur l’histoire. Je l’ai
fait lire à Guizot qui en rafolle.
Encore une prière bien pressante. Ne voudrons nous pas dicter 2—3 pages
(ensemble) sur Schiller, sur ce qui te
paraît l’avoir le plus distingué des autres hommes. C’est sur son caractère,
sur son individualité plus que sur les ouvrages qu’on voudrait quelque chose
de ta main. M. de Barante, qui a traduit
les pièces de Schiller avec beaucoup de
talent, te demande cette grâce. Il voudrait s’inspirer par toi, dans une vie qu’il doit donner dans son
édition de Schiller. Ecris
en allemand ou en français comme tu voudras et surtout marque, si tu veux
que l’on puise seulement des idées ou si tu permets qu’on imprime une partie
de ce que tu vas nous donner. Ne me refuse pas cette grâce.