Alexander von Humboldt an Wilhelm von Humboldt, 17.12.1822

Je laisse ouverte la lettre que j’adresse au bon Hedemann, mon cher Bill. Je serai dans ta maison le 45. Nous coucherons d’abord à Potsdam, ne viens pas au devant de moi, tout est trop incertain et je ne quitterai le Roi qu’à Berlin. Il continue à me traiter avec plus de bienveillance que jamais, mais nous connaissons les bornes qu’il ne faut pas penser franchir. Le Roi comme de coutume voyage avec l’aide de Camp (Bojanowsky) seul dans une voiture fermée. J’ai cédé ma voiture à Thümen, resté malade à Rome. Thümen me ramènera ma voiture à Berlin pour m’en servir dans mon retour à Paris. Je voyage dans la voiture de l’aide de camp, seul, c’est la calèche du Roi, un peu froide: on peut cependant la fermer. Wittgenstein, avec lequel je suis extérieurement sur le pié le plus amical, suivra le Roi de près. Si tu le peux, cher Bill, je te prie de me loger chez toi, moi et un domestique français. Si cela t’incommode la moindre chose, fais moi loger à l’hôtel de Brandebourg. Je serai tout à toi, excepté les jours où le Roi m’invitera: il y a bien des motifs de ne pas négliger ces relations de la cour. Que je serai heureux au sein de ta famille. Mille et mille amitiés au cher Bülow. Vous me trouverez tous bien vieux, mais animé et aimant plus que jamais. Dans la ville on me tourmentera beaucoup moins du Chimborazo et de Crocodiles, mais pourquoi je ne m’établis pas à Berlin, pourquoi je ne reste que 3 semaines, pourquoi je ne suis pas parti encore pour les Indes, pourquoi je passe par Mexique . . . . Je me tienderai aux réponses les plus vagues! La mort de Tralles me donne quelque espoir pour Oltmanns (une petite partie de sa pension) à moins qu’on n’espère avoir Gauss, ce qui serait préférable et n’excluerait pas un homme inférieur pratiquement utile. Hélas! j’ai eu le chagrin que la liste des achats, des peintres que je t’ai envoyée a été changée en 2 points, le Roi a donné à Senf 50 Napoléons de moins pour la belle copie du Raphael et il n’a pas du tout pris l’Ezechiel de Remy. J’ai redressé un peu l’humeur de ce bon Senf: je lui écris dans ce moment. Le Roi le charge outre une copie de Innocenzo Imola à Bologne, de la copie du Raphael de Florence (un peu douteux) Madonna dell’ Impannata. Il est à regretter que jamais il n’y a quelque chose de fixe pour les prix que l’on veux accorder. En masse cependant les jeunes artistes auront été contens et je me flatte que la bonne Li l’aura été de moi sur ce point. Je n’ai hélas! me pu tirer au clair sur les quippos. Je n’ai jamais pu en voir, parce que je n’ai pas été au Couzco. Je pense cependant qu’ils ne contenaient aucun élément syllabique, pas plus que nos rosaires qui font des quippos ou cordelettes aussi. La découverte que tu as faite de l’imperfection de la langue yquichua est très remarquable. Sans doute que le gouvernement de l’Incas était plus doux et réglé que le despotisme du Sultanat mexicain: mais ces Etats qui n’ont qu’une civilisation en masse, où les individus ne sont rien, arrêtent sans doute plus les progrès de l’espèce humaine que le despotisme le plus sanguinaire. Le pire est la stupidité d’un couvent, le despotisme force du moins quelque fois à la réaction. On ne doit pas oublier aussi que nous ne connaissons pas le langage de la cour de l’Incas, celui de la famille royale, diffère du yquichua.

Sur tout cela je procurerai les renseignemens les plus précieux, quand j’aurai fait mon grand établissement dans les colonies espagnoles et lorsqu’une correspondance active sera établie depuis Buenosayres et le Chili en Californie. Adieu cher, cher ami! Quelques heures dans ta maison me dédommageront de toutes les privations morales de ce long voyage. J’embrasse tous les tiens de coeur |sic| et d’âme: je me réjouis beaucoup de revoir Kohlrausch pour lequel j’ai conservé beaucoup d’amitié.


A. Humboldt.
Florence le 17. Déc. 1822.

Je suis pauvre comme un rat d’église, mais j’ai laissé des napoléons à foison à l’aimable Mad. Valois et tes anciens domestiques, surtout celui que tu avais de mon tems!

Le Roi n’aime pas Bartholdi, cependant tout s’est passé très bien pour lui.