Alexander von Humboldt an Wilhelm von Humboldt, 07.05.1824

L’arrivée inattendue d’un courrier de Londres accentue tellement le départ du courrier pour Berlin, que j’ai à peine le loisir, cher ami, de faire le paquet de l’invariable milieu (fruit dont la graine s’est perdue), d’un excellent petit traité sur la Grammaire persanne, des hièroglyphes de Young.... Champollion me charge de te dire combien il est reconnaissant de tes cadeaux et surtout de l’acceuil que tu as fait à ses travaux. Il a été frappé de la sagacité de plusieurs de tes observations critiques, je lui ai fait traduction verbale des passages principaux et comme il veut te répondre point sur point, j’ai cru ne pas devoir lui refuser une partie du manuscrit, pour qu’il le fasse traduire lui-même. Il sait que ce Msc. n’a jamais été destiné pour le public et aucune indiscrétion ne sera commise. J’ai remis entre les mains de Letronne la seconde partie de ton mémoire sur le sanscrit, qui renferme des choses si curieuses sur le gérondif des grecs. Que la différance des langues est une difficulté de communication depuis que l’on n’écrit plus en latin. Que l’on perd de tems avec les traductions. Letronne dit du moins qu’il sait l’allemand. Je complèterai tout ce qui me manque encore À ton exemplaire de mes ouvrages. Comment ne me permetterais-tupas de t’en faire hommage à mes fraix. Quant à d’autres livres que j’achète pour toi je t’enverrai le compte plus tard. Je suis peiné de voir que tes yeux demandent encore beaucoup de ménagement: aussi les miens ne sont pas brillants. J’ai un appartement où il y a trop de soleil. J’ai anéanti la lettre de Spohn, quelle rage teutonique! Je te prie de m’envoyer dès que M. Seyffarth aura publié quelque chose. Je désirerais être agréable à Champollion, par ce que la dédicace de Young (qui fait allusion à ce que je l’ai vengé sur les chiffres des empiètemens de Jomard) lui aurait pu faire croire que je lui serais contraire. Young a sans doute ouvert le parti, mais c’est un homme sans franchise, qui ne dit jamais clair comment et jusqu’où il a trouvé. Son dernier livre est encore dégoûtant sous ce rapport. Les Candelabres sont très bien arrivés: on en est très content, mais on n’ose les louer tout haut. Ils ne seront pas populaires. Ose-t-on te dire quelque chose avec franchise sur des hommes dont nous estimons d’ailleurs le talent? Si les cahiers de Schinkel, renfermant ses chefs d’oeuvre d’architecture, étaient arrivés plutôt, j’aurais eu quelque peine de le faire nommer associé de l’Institut. On a trouvé cela winkelig, dépourvu de grandes lignes non interrompues et un peu surchargé d’ornemens, surtout une malheureuse fontaine avec de petits Rois liliputiens qui se promènent sur les bords. Je cache les cahiers autant que je puis.... le corps de garde a plu le mieux. Mon buste aussi n’a pas trop satisfait, le masque est trop petit et le nez dans le platre replié vers la droite. Je l’ai donné à Gérard qui en a été très reconnaissant. Le Roi m’a fait remercier tout exprès par une lettre de n’avoir pu rien acheter chez le Cardinal.[a] Mendelssohn a la faiblesse de croire qu’on pourrait persuader à notre gouvernement d’acheter les tableaux espagnoles (superbes sans doute) du Maréchal Soult. Il ne les vendra que pour 2,100,000 francs, le marché avec le Ministère français était déjà conclu et des simples monastiques ont rompu le traité ou plutôt suspendu, car on a une telle abondance de fonds ici et un tel désir de ne rien laisser sortir du pays, que lorsque on croirait le marché conclu avec la Prusse, le Roi de France donnera un peu plus. Voilà ce qui rend toutes ces négociations dégoûtantes: aussi je ne voudrais pas en être mêlé. Il y a douze superbes tableaux et puis une masse de médiocres. Il ne veut diviser: cela ne vaut je crois que 1 ½ million de francs, mais comme la Pairie de Soult doit se lier à ce marché, je suis sûr que le Gouvernement français finira par acheter. La guerre des romantiques et des classiques est ici plus dégoûtante et plus âcre que jamais. Les grandes Puissances de l’est de l’Europe ont entièrement oublié qu’en engageant la France à faire une guerre heureuse à l’Espagne, la grande masse de la nation est devenue plus arrogante, plus sûre de ses forces, plus désireuse d’une guerre contre l’Allemagne que jamais. Il y a un grand mécontentement du Ministère actuel dont la fraction plus constitutionelle (Ms. de Villèle et Chateaubr.) sont sous la domination du parti jésuitique (de robe courte, congrégation du sacré coeur) il y a beaucoup de confiance dans les idées constitutionelles de M. le Duc d’Angoulême, qui déteste l’influence politique du clergé: il y a confiance dans l’armée, ordre dans les finances et arrogance nationale contre tous les étrangers - tels sont les élémens qui fermentent. Le Ministère se soutiendra en louvoyant et en cédant et les chambres fixent à pleine plus l’attention que du tems de Bonaparte. S’il y a un peu de résistance contre le despotisme ministeriel c’est dans la chambre des pairs.

Adieu, cher cher ami, soigne bien tes yeux, embrasse la Li et les chers enfans.
Humboldt
Paris, ce 7. Mai 1824.

Une lettre de l’aimable Madame de Dohm, dont le cher fils dans un livre qu’il publie a cru nécessaire de faire le panégyrique de la Sainte Alliance. Je ne serai pas mécontent de la nomination de Malzahn: c’est un honnête homme d’une taciturnité et d’un froid que l’on croit ici cacher de la médioctrité: il a avec lui un homme gras et larges dans ses paroles M. Liebermann, qui plait un peu plus. Mertens jase et raconte à tout le monde qu’il cherche une Ambassade.[b] Cette pauvre Mad. B.... qui a perdu son mari en Gambie, où elle l’avait suivi avec un enfant à la mamelle.[c] Tu m’écriras bien quand tu sauras quelque chose des voyages de notre Roi sur le Rhin ou ailleurs? Envoye moi, cher ami, Bodens Sternkarten, les petites, in 4°, die alten. Beschreibung eines Instrumentes zur geometrischen Flächenberechnung von Wiesner, Jena 1823, ou s’il se peut le châssis (instrument) de M. Wiesner.

Fußnoten

    1. a |Editor| Siehe den Brief Alexander von Humboldts vom 7. April 1824. [FZ]
    2. b |Editor| Gemeint ist wohl Friedrich von Martens (!) (1778–1857), Gesandter Preußens in Turin und Florenz 1827–1832 und Konstantinopel 1832–1834; siehe Johann Caspar Struckmann (2003): Preußische Diplomaten im 19. Jahrhundert. Biographien und Stellenbesetzungen der Auslandsposten 1815–1870, Berlin: trafo Verlag, S. 161f. u.ö.; Tobias C. Bringmann (2012): Handbuch der Diplomatie 1815–1963: Auswärtige Missionschefs in Deutschland und deutsche Missionschefs im Ausland von Metternich bis Adenauer, Berlin: de Gruyter, S. 321, 331. [FZ]
    3. c |Editor| Thomas Edward Bowdich und seine Frau Sarah hielten sich von 1820 bis 1822 in Paris auf und machten dort die Bekanntschaft u.a. von Alexander von Humboldt; im Anschluss reisten sie über diverse Stationen nach Gambia, wo Thomas E. Bowdich am 10. Januar 1824 an der Malaria starb; siehe Annales maritimes et coloniales 1824, 2. Partie, Tome 1, S. 349. Sarah Bowdich kehrte daraufhin mit ihren drei kleinen Kindern nach Paris zurück; zu Sarah Bowdich und ihrem schriftstellerischen Werk siehe Donald deB. Beaver (1999): Writing natural history for survival – 1820–1856: the case of Sarah Bowdich, later Sarah Lee. In: Archives of Natural History 26 (1), S. 19–31. [FZ]